mercredi 11 décembre 2013

Expiation

"Lorsqu'elle émergea quelques secondes plus tard, un éclat de porcelaine dans chaque main, il se garda bien de l'aider à sortir de l'eau. La fragile nymphe blanche, d'où l'eau ruisselait avec infiniment plus de grâce que du solide Triton, déposa avec soin les morceaux à côté du vase. Elle s'habilla prestement, passant avec difficulté ses bras mouillés dans les manches de soie et renfonçant dans sa jupe son chemisier défait. Elle ramassa ses sandales et les fourra sous un bras, mit les fragments dans les poches de sa jupe et pris le vase. Ses mouvements étaient brusques. Elle évitait de croiser son regard. Il n'existait pas. Il était banni, et ça aussi, c'était sa punition. Il resta là, sans voix, tandis qu'elle s'éloignait de lui, pieds nus sur la pelouse, et il suivit des yeux ses cheveux assombris qui balançaient pesamment sur ses épaules, détrempant son chemisier. Puis il se retourna pour sonder l'eau au cas où par mégarde elle aurait oublié un morceau. Il était difficile d'y voir, car la surface troublée n'avait pas encore retrouvé sa quiétude, encore hantée par le spectre de la violence de Cécilia. Il posa la main à plat sur l'eau, comme pour l'apaiser. Elle, entre-temps, avait disparu à l'intérieur de la maison." (Ian McEwan).

vendredi 6 décembre 2013

Courbons nous

""Je t'aime" répète le vent à tout ce qu'il fait vivre. Je t'aime et tu vis en moi." René Char

lundi 25 novembre 2013

Charles

"Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre, Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !"

jeudi 20 juin 2013

Un soir de décembre

"Quelques semaines après son mariage, il a cessé de porter ses lunettes. il n'a donné aucune explication, n'ayant élaboré aucun argument susceptible de justifier cette lubie. Peu à peu, il s'est habitué à évoluer ainsi, au milieu de formes indistinctes et de silhouettes mouvantes, attentif aux couleurs et aux lumières, prudent puis confiant, dans un décor imprécis dont il ne distingue que les contours. certes, il ne reconnaît pas toujours ses amis ou ses voisins quand il les croise dans la rue, mais compense ces manquements à la plus élémentaires courtoisie par un regard dénué de tout jugement. Des visages, il ne perçoit que la douceur et les courbes, incapable au-delà d'une certaine distance de deviner leur âge ou leur beauté. Au-delà d'un mètre le monde lui apparaît lisse et harmonieux, jamais ne le heurte ni ne l'interpelle. Hors de chez lui, il a pris l'habitude de s'éloigner des choses et des gens, de les maintenir à distance, afin qu'opère cette vision tronquée, édulcorée, qui gomme les aspérités et lui dérobe les corps. Il évite les foules et les heures de pointe, se rend à pied à l'agence et fuit systématiquement les lieux ou les occasions qui lui imposent la promiscuité. (...) Il évolue dans un monde sans visage, hormis celui de ses proches, et cela lui semble dans l'ordre des choses, il va et vient dans ce léger brouillard qui le protège et lui laisse parfois croire, puisqu'il ne distingue rien au-delà d'une certaine distance, qu'il ne peut être vu." (Delphine de Vigan)

dimanche 9 juin 2013

Memories

“I will remember the kisses, our lips raw with love and how you gave me everything you had and how I offered you what was left of me, and I will remember your small room, the feel of you, the light in the window, your records, your books, our morning coffee, our noons our nights, our bodies spilled together sleeping, the tiny flowing currents, immediate and forever, your leg my leg, your arm my arm, your smile and the warmth of you who made me laugh again" (Charles Bukowski)

mercredi 15 mai 2013

Crions ensemble

"Tu es pressé d’écrire Comme si tu étais en retard sur la vie. S’il en est ainsi fais cortège à tes sources. Hâte-toi Hâte-toi de transmettre Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. Effectivement tu es en retard sur la vie La vie inexprimable La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir. Celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés Au bout de combats sans merci. Hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière. Si tu rencontres la mort durant ton labeur Reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride En t’inclinant. Si tu veux rire Offre ta soumission Jamais tes armes. Tu as été créé pour des moments peu communs. Modifie-toi, disparais sans regret Au gré de la rigueur suave. Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit Sans interruption Sans égarement. Essaime la poussière Nul ne décèlera votre union." René Char

mardi 14 mai 2013

Deux vies valent mieux qu'une

"Heureusement, les jardins de la Villa Borghese étaient ouverts, la canicule du mois d'août ne me décourageait pas. Je traversais deux ou trois rues peut-être, côté ombre, et me dirigeais vers le stand de Giuseppe, le loueur de vélos. Sa fille Matilde ne venait pas tous les week-end. Parfois, j'avais de la chance et j'apercevais Matilde sous la petite guérite. J'avais neuf ou dix ans, pas tellement plus que deux petits chiffres, Matilde onze. Nous effectuions à bicyclette des tours de jardin sans échanger le moindre mot. Nous partagions à l'heure des repas d'infâme sandwichs à la sardine que nous paraissions apprécier. Nous nous aimions sans doute. Les saisons calabraises allaient mettre fin à cette idylle très précoce. Une nuit à Saint-Joseph, j'ai retrouvé le goût âcre d'un pain à la sardine et je me suis surpris à rire tout seul. Ne l'avais-je pas enfin déterré, le plus beau moment de ma vie ?" Jean-Marc Roberts

lundi 6 mai 2013

1Q84

"Bien sûr, il y a des risques. Mais le risque, c'est ce qui épice la vie." (H. Murakami)

jeudi 25 avril 2013

Recueillement

"Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille !" (C. Baudelaire)

jeudi 18 avril 2013

L'alcool et la nostalgie

"Souvent je me remémore la nuit de ton départ, je nous revois dans la pénombre, nous embrasser, nous toucher des heures durant sans vraiment faire l'amour, comme si nous voulions engranger de la tendresse pour le long hiver de séparation. Je me souviens de tes lèvres sur les miennes, de tes mains sur ma peau, de tes doigts caressant mes cuisses et de ma tristesse quand tu es parti. Notre silence sur le quai de la gare, tes yeux au moment du départ. Tu m'as soufflé un baiser à travers la vitre, j'ai failli pleurer. Bon, j'arrête là cette lettre parce qu'elle est trop triste. Fais bien attention à toi." (Mathias Enard)

New York

"New York est un miroir dans lequel vous verrez, non votre visage singulier, mais les innombrables visages de tout ce que vous êtes - les innombrables visages (cachés, secrets, potentiels, souterrains, transcendants, impénétrables) de votre être le plus mystérieux. New York n'exige de vous que du courage." (Joyce Carol Oates)

jeudi 21 février 2013

Let the great world spin

“There's a part of me that thinks perhaps we go on existing in a place even after we've left it.” (Colum McCann)

vendredi 8 février 2013

Le livre de ma mère (pour Yvonne Hélène Portale)

"Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats rassurants, vertueuses chromos, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales, arnica, papillon à gaz dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines, veilleuses en porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon ami un écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en peluche, convalescence chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à dentelures, dindes de Noël, fables de la Fontaine idiotement récitées debout dans le sable, bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes sergent-major, plumes baïonnette de Blanzy Poure, goûters de pain et de chocolat, noyaux d'abricots thésaurisés, leçons qu'elle me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance, petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfuies et dissoutes saisons. Les rives s'éloignent. Ma mort approche." (Albert Cohen)

mardi 5 février 2013

Le coeur régulier

"Si j'ai appris quelque chose dans le monde de l'entreprise, et du travail en général, c'est qu'on y tolère mal les faibles, que toute faille doit y être camouflée, toute fragilité niée, toute fatigue combattue et oubliée, qu'une part non négligeable de nous-même doit être laissée au vestiaire, comme un costume qu'on renfilerait le soir venu." (Olivier Adam).

vendredi 1 février 2013

Les heures souterraines

"Il arrive un moment où le prix est devenu trop élevé. Dépasse les ressources. Où il faut sortir du jeu, accepter d'avoir perdu. Il arrive un moment où l'on ne peut pas se baisser plus bas." (Delphine de Vigan)

lundi 28 janvier 2013

L'attentat

"Comme délivré de ses angoisses, l’enfant file sur l’arête des collines en battant des bras, la frimousse radieuse, les prunelles en liesse, et s’élance vers le ciel, emporté par la voix de son père : On peut tout te prendre ; tes biens, tes plus belles années, l’ensemble de tes joies, et l’ensemble de tes mérites, jusqu’à ta dernière chemise – il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l’on t’a confisqué." (Yasmina Khadra)

jeudi 24 janvier 2013

Falaises

"Nos vies sont les mêmes. Nos vies se débattent, crient dans la nuit, hurlent et tremblent de peur. Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit." (Olivier Adam)

mardi 22 janvier 2013

Le sel de la vie

"Il s'agit tout simplement de la manière de faire de chaque épisode de sa vie un trésor de beauté et de grâce qui s'accroît sans cesse, tout seul, et où l'on peut se ressourcer chaque jour." (Françoise Héritier)

jeudi 10 janvier 2013

Révolte

"Nous sommes ici pour dire que les femmes ont le droit d'être aventureuses. Nous serons imprudentes. Nous serons inconscientes. Nous ne ferons rien pour notre sécurité. N'osez pas nous dire comme nous habiller, quelle heure du jour ou de la nuit sortir, comment marcher, ou de combien d'escortes nous avons besoin." (Nilanjana Roy)